Rappel des faits
David P. Chandler est professeur d’histoire. Il a travaillé dans un établissement australien du nom de Monash University de 1972 à 19971. De 1976 à 1998, il a axé ses recherches sur le Kampuchéa Démocratique (KD). Chandler a appris la langue khmère et a écrit deux livres sur la période du KD2. L’une de ses œuvres est une biographie de Pol Pot intitulée « Brother Number One » (Frère numéro un) et l’autre est un livre à propos du centre S-21 appelé « Voices from S-21 »3 (Les voix du centre S-21). Il a commencé à s’intéresser à l’histoire du Cambodge lorsqu’il occupait les fonctions de diplomate américain au Cambodge en 1960 et en 19624. Dans les années 1990, Chandler a passé quatre ans a effectuer des recherches et à rédiger « Voices from S-21 », étudiant plus de 1 000 confessions provenant du centre S-21 et travaillant aux archives du centre S-215. Ce livre a été intégré dans le dossier et certaines parties ont été utilisées lors de l’audition de Chandler6.
Le fonctionnement du centre S-21
Le régime du PCK a mis en place le centre S-21 au milieu de l’année 1976 en réponse aux suspicions grandissantes selon lesquelles le PCK était infesté de traîtres et pour obtenir des informations au sujet des conspirations qu’ils préparaient7. Le centre S-21 était unique et différent des autres centres de sécurité et de détention8. Chandler le décrit comme une « institution totale » – un environnement fermé sur lui-même avec ses propres règles et aucun lien avec le monde extérieur9. L’existence du centre S-21, sa mission et ses opérations étaient secrètes10. La politique du secret découlait de la volonté politique d'éviter toute ingérence d'autres pays11.
Lors de son témoignage, Chandler a déclaré que les prisonniers du centre S-21 étaient arrêtés pour être exécutés ; il n’y avait aucune possibilité d’être relâché12. Même ceux qui étaient arrêtés par erreur, étaient exécutés pour préserver le secret autour du centre S-2113.
Lors de son témoignage, Chandler a déclaré que les affiliations avec la CIA, le KGB, ou le régime vietnamien dont les détenus du S-21 étaient accusés étaient devenues une formule signifiant ennemi du PCK14. Selon lui, il est possible que Duch ait su que ces accusations étaient tirées par les cheveux, mais qu’il ait appliqué les ordres d’en haut15.
La Chambre de première instance s’est appuyée sur le témoignage de Chandler pour conclure que les détenus du centre S-21 étaient considérés comme coupables du simple fait de leur présence au S-21, le rôle des interrogateurs étant de corroborer le verdict en leur soutirant des confessions16.
Chandler a déclaré à la Chambre de première instance que les archives du centre S-21 étaient plus précises et plus détaillées que celles des autres composantes du régime du PCK17. La Chambre de première instance a explicitement cité le témoignage de Chandler et certaines parties de son livre « Voices from S-21 » pour étayer ses conclusions quant à l’exhaustivité de la documentation conservée au centre S-21 et sur le travail de l’Unité en charge de la documentation18.
La Chambre de première instance s’est également appuyée sur le témoignage de Chandler pour étayer ses conclusions selon lesquelles les opérations du centre S-21 étaient vitales dans la volonté du PCK de contrôler ses ennemis, ce qui les a menés à de la pure paranoïa et a contribué au passage à la destruction du PCK lui-même19.
L’appareil judiciaire
Le système judiciaire cambodgien a tout simplement disparu après la victoire des Khmers rouges le 17 avril 197520. Il n’y avait ni lois, ni juges, ni avocats, ni procès21. Le seul élément du système judiciaire ayant été conservé était les interrogatoires22. La Chambre de première instance a explicitement fait référence au témoignage de Chandler et à certaines parties de son livre pour décrire le problème du système judiciaire pendant la période du KD23.
Interrogatoire
Il y avait deux façons d’obtenir des aveux : « faire de la politique » et « imposer la torture »24. Chandler a expliqué qu’imposer la torture consistait à réaliser un certain nombre d’activités sur le corps du prisonnier, que les traités internationaux définissaient comme de la torture25. « Faire de la politique » représentait le reste des méthodes en dehors de la torture : l’interrogatoire, le fait d’amadouer la personne interrogée, d’en apprendre plus sur elle, de tenter de discréditer la personne suspecte, d’essayer de se rapprocher de la personne et de la contredire, – toutes formes d’interrogatoire permettant de soutirer des aveux sans torture26. Selon Chandler, il semblerait que « ’faire de la politique’ représentait la méthode préférable » et que dans certains cas elle permettait d’obtenir des aveux27. Au sujet des interrogatoires au centre S-21, la Chambre de première instance a utilisé l’expression « faire de la politique » et cité la définition que Chandler en donne28.
Lors de son témoignage, Chandler a déclaré que les conditions de détention au centre S-21 constituaient une des façons utilisées par le système pour briser les prisonniers dès les premières minutes de leur arrivée au S-2129. Selon ses mots, « il n’y avait aucune place pour la pitié au sein de la prison »30. La Chambre de première instance a cité cette déclaration et s’est appuyée sur le témoignage de Chandler lorsqu’elle pour conclure que les conditions de détention étaient délibérément inhumaines dans le but de maintenir les prisonniers en état de sujétion31.
Violence sexuelle
Chandler a déclaré que bien qu’il y ait eu quelques incidents d’abus sexuels au centre S-21, il n’a jamais eu la moindre preuve permettant d’affirmer que les prisonnières étaient « comme étant disponibles ou mises à la disposition des hommes dans la prison »32. Il a déclaré que la situation au centre S-21 était fluctuante, bien que tout incident généralisé d’abus sur des prisonnières aurait fini par arriver à la connaissance de Duch et aurait cessé immédiatement33. Chandler a également affirmé que les prisonnières vietnamiennes représentaient le groupe le plus vulnérable, car « elles étaient ipso facto considérées comme n’appartenant pas à la race humaine, et cela dès le début du conflit avec le Vietnam34 ».
Personnalité et rôle de l’accusé
Chandler n’a jamais interrogé Duch35. Sa description de la personnalité de Duch s’appuie sur les notes de Duch lors des aveux obtenus au centre S-21, sur les entretiens de Chandler avec le personnel et les survivants du centre S-21 et sur l’examen des documents du centre S-2136. Chandler a déclaré que Duch faisait preuve « d’un enthousiasme professionnel » dans son travail et qu’il voulait que le centre S-21 soit vu par la direction du parti et la communauté internationale comme « une organisation hautement efficace et professionnelle » et dont il pourrait être fier37.
Chandler a déclaré « qu’il aurait été suicidaire » pour Duch de mettre par écrit toute objection claire au sujet du fonctionnement du centre S-2138. Il a également affirmé que des documents révélaient que Duch suggérait quelques fois de « faire de la politique » plutôt que de recourir à la torture. Toutefois, selon Chandler, Duch n’a exprimé aucun remord lorsqu’il a eu connaissance des activités quotidiennes du centre S-2139. Chandler a déclaré que Duch ne se contentait pas de faire son travail de façon satisfaisante, il recherchait plutôt l’excellence et souhaitait faire montre de ses compétences et faire preuve d’enthousiasme40. D’après Chandler, Duch n’était pas le seul initiateur des « agissements au sein du centre S-21 »41. Selon Chandler, dans la tradition de la révolution cambodgienne, une certaine marge de manœuvre était accordée aux individus pour qu’ils agissent de façon révolutionnaire42.
Chandler a déclaré que la mission de Duch était de s’assurer que toute personne arrivant au S-21 quitte le centre pour être exécutée43. La Chambre de première instance a explicitement cité une partie du témoignage de Chandler concernant le rôle de Duch dans les exécutions, en concluant que chaque individu au centre S-21 était destiné à être exécuté44. La Chambre de première instance a également cité le témoignage de Chandler dans ses conclusions au sujet du rôle de Duch concernant les aveux, de son désir de faire montre de professionnalisme et d’informer la direction du PCK de la découverte des filières des traîtres45.
Attaques sur le Vietnam
Chandler a témoigné au sujet des conflits entre soldats cambodgiens et vietnamiens durant l’année 1977, dont personne ne parlait dans aucun de ces pays46. Dans sa conclusion selon laquelle, à partir de janvier 1977, le Kampuchéa démocratique a intensifié ses raids sur le territoire vietnamiens et préparé l’armée à attaquer le Vietnam, la Chambre de première instance s’est appuyée sur certaines parties clés de l’ouvrage de Chandler et sur son témoignage lors du procès47.
Purges
Chandler a décrit les deux principales phases des purges : la période de 1975 à septembre 1976 - les personnes associées au précédent régime étant principalement ciblées 48; et la période de 1976 jusqu’à la fin du centre S-21 – les cadres du PCK étant principalement visés49. Chandler a expliqué qu'il est probable qu'au moins une partie des personnes victimes des purges aient été, en réalité, de véritables opposants au régime50.
La Chambre de première instance s'est appuyée sur le témoignage de Chandler pour conclure que certaines des exécutions en masse étaient le résultat de purges au sein du PCK51.
Liquider les ennemis
Chandler a témoigné au sujet de la « Décision du Comité central sur diverses questions » en date du 30 mars 1976, la décrivant comme « la preuve probante la plus forte que nous ayons sans doute, pour ce qui est de la politique visant à liquider les ennemis à l'intérieur du KD »52. La Chambre de première instance a repris l’expression exacte et cité explicitement la description que Chandler fait de ce document dans ses conclusions relatives à la politique du PCK visant à « liquider » les ennemis53.
Date | Procès-verbal d’audience | Numéro de transcription |
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jeudi 6 août 2009 | E1/59 | E1/59.1 |
Titre du document en khmer | Titre du document en anglais | Titre du document en français | Numéro de document D | Document numéro E3 |
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