Contexte et rôle
Craig Etcheson était enquêteur au sein du Bureau des coprocureurs des CETC au moment du procès.1 Il est titulaire de postes académiques et de recherche dans diverses universités aux États-Unis d’Amérique. Il possède une expérience profonde de la recherche sur l’Asie du sud-est et des génocides et a publié ses travaux sur la période des Khmers rouges au Cambodge.2 Il a témoigné comme expert dans le dossier n° 001 sur la structure du Parti Communiste du Kampuchéa (PCK) et la mise en œuvre des politiques du parti.3
Structure du parti et politiques du PCK
Le Kampuchéa démocratique était organisé selon une autorité hiérarchique absolue et le Centre du parti (les comités) exerçait un contrôle centralisé sur la communication.4 L’idéologue du PCK s’appuyait sur les principes de « centralisme » et de « collectivisme ».5 Les statuts du PCK étaient la source première des politiques du parti, qui ne s’appliquaient pas uniquement à ses membres, mais aussi au peuple cambodgien dans son ensemble.6 Autre législation, la Constitution du Kampuchéa démocratique prévoyait la formation d’une Assemblée des représentants du peuple kampuchéen (ARPK), élue par scrutin secret au suffrage direct.7 Selon Etcheson, bien qu’en théorie les représentants dussent être élus, les 250 membres de l’ARPK étaient en fait désignés par l’échelon supérieur.8 L’ARPK ne se réunissait pas régulièrement, n’adoptait pas de lois et ne semblait même pas avoir eu quelque fonction que ce soit,9 sinon de servir comme outil de la propagande dans la défense de l’image du Kampuchéa démocratique ailleurs dans le monde.10
Le territoire du Cambodge était divisé en zones, lesquelles étaient subdivisées en secteurs, en districts et en communes.11 Les districts avaient des « bureaux de sécurité » où l’on faisait la distinction entre les « ennemis » qu’il fallait « éliminer » « localement et ceux qu’il fallait transférer à des autorités [de l’échelon hiérarchique] supérieur ».12 Outre les six zones originales, on comptait plusieurs entités supplémentaires désignées comme secteurs autonomes ainsi que d'autres entités connues sous le nom de régions municipales spéciales, placées sous autorité militaire.13
Comité central
Le Comité central était « l’organe le plus puissant » du PCK.14 Le PCK enjoignait le Comité central de mettre en œuvre les « lignes » (ou politiques) du parti à travers le pays, de transmettre les instructions aux institutions des zones, des secteurs et de l’armée et aux organes du parti en charge de divers départements nationaux, notamment de l’administration et du déploiement des cadres et des membres du parti.15 Le PCK maintenait un contrôle sur la biographie de chaque cadre et les éduquait constamment en termes d’idéologie politique et organisationnelle.16
Selon Etcheson, il n’y avait pas de structure bureaucratique traditionnelle au sein des divers ministères, qui n’étaient que des secteurs de responsabilité assignés à un membre de parti.17 Il a également expliqué que contrairement au statut du PCK, le parti ne s’est pas réuni avec la fréquence d’une réunion tous les six mois, en particulier en temps de guerre.18
Comité permanent
Le Comité central a délégué ses pouvoirs à son organe exécutif, le Comité permanent, également dénommé « le Centre », « l’Organisation » ou « l’Angkar ».19 Le Comité permanent exerçait un « contrôle total par rapport au gouvernement ».20 Le Comité permanent (Bureau 870) était le point de contact entre chaque section. Il était également chargé du suivi et de la mise en œuvre des politiques du parti à l’échelle du pays.21
Au sein du Bureau 870 ou sous son contrôle, il existait une organisation dénommée S-71, qui était organisée en une série d’unités portant un nom de code commençant par « K ».22 Etcheson a résumé les fonctions de cinq des 20 bureaux K comme suit : (i) K-1 correspondait au bureau de l'organisation et à la résidence et au bureau de Pol Pot ; (ii) K-3 correspondait aux résidences de Nuon Chea et Khieu Samphan et d’autres membres du Comité permanent y logeaient lorsqu’ils étaient en ville ; (iii) K-4 correspondait au bureau logistique et était responsable de l'organisation des déplacements du Comité permanent, besoins logistiques, alimentation et transport ; (iv) K-5 correspondait à l'école politique où l'échelon supérieur du Parti communiste du Kampuchéa formait les cadres : et (v) K-7 correspondait à l'unité des messagers pour le centre du Parti.23
Écraser les ennemis
La Décision du 30 mars 1976 du Comité central relative à un certain nombre de problèmes établit la liste des organes du PCK ayant le pouvoir de décider « d’écraser » ou d’exécuter les ennemis.24 Selon Etcheson, elle a probablement été rédigée par le Comité permanent même si elle émane officiellement du Comité central.25
Pol Pot en personne a affirmé, au cours d’une conférence en 1976, la nécessité de régler le problème des ennemis dans les coopératives par des mesures « absolues et constantes pour les écraser ».26 D’après Etcheson, écraser recouvrait non seulement un écrasement physique mais également un « écrasement psychologique », impliquant « la déshumanisation et l’effondrement des bases de psyché de l’individu ».27
Centre de sécurité S-21
Le S-21 était l’avant-dernier nœud de la pyramide de pouvoir du Kampuchéa démocratique :28 à la différence du centre de sécurité S-24, les détenus du S-21 ne pouvaient être libérés.29
Etcheson a affirmé que le S-21 était un centre de sécurité unique, incomparable avec les autres centres de sécurité spéciale pour un certain nombre de raisons.30 Le S-21 était habilité à procéder à des arrestations d’individus sur l’ensemble du territoire.31 Il était désigné pour écraser les personnes de rang supérieur et était habilité à interroger les membres du Comité central et du Comité permanent.32 Le S-21 comptait également le nombre le plus élevé de membres du personnel.33 Les confessions et les procédures d’interrogatoire adoptées étaient bien plus élaborées, poussées et rigoureuses que dans d’autres centres de sécurité.34 Par exemple, bon nombre de personnels interrogés étaient des vétérans révolutionnaires d’unités de haut rang et avaient donc une connaissance approfondie de sujets dont ils pouvaient parler dans leurs aveux.35 Enfin, son président faisait quotidiennement directement rapport à l’échelon supérieur, souvent à titre personnel.36
Les aveux obtenus au S-21 ont été utilisés pour décider d’arrêter les membres du personnel dénoncés comme des agents ennemis et ont souvent débouché sur l’arrestation de nombreuses autres personnes impliquées pour trahison.37 Ces aveux servaient donc les intérêts politiques de ceux qui contrôlaient le PCK en justifiant les arrestations et en impliquant les réseaux de ceux qui étaient envoyés au S-21.38
Duch
Etcheson a décrit Duch comme quelqu’un qui a fait preuve de beaucoup d’innovation et de créativité et qu’il a institutionnalisé des méthodes qu’il a mises au point pour obtenir des aveux très circonstanciés pendant des périodes très longues.39 Selon Etcheson, les purges peuvent s’expliquer par la paranoïa du Comité permanent du PCK et par le zèle de Duch.40
Duch était le principal formateur aux techniques de torture.41 La torture était une pratique généralisée dans d’autres bureaux de sécurité, mais il semble que c’est au S-21 que les gammes des techniques étaient les plus larges.42 Au niveau des centres de sécurité situés dans les échelons inférieurs, la gamme des techniques de torture pratiquées était généralement limitée à des passages à tabac, des coups de fouet, la suffocation avec des sacs en plastique et l'électr[isation].43 En contraste à cela, le S-21 semble avoir utilisé une vaste gamme de techniques de torture supplémentaires : infliger des brûlures, percer les ongles des [doigts] et des orteils, arracher les ongles des [doigts] et des [orteils], verser de l'eau salée sur les blessures, [utiliser différentes techniques avec] de l'eau salée, tourmenter les prisonniers avec [...] des insectes dont les morsures étaient empoisonnées ou les piqûres étaient empoisonnés, attacher les mains derrière le dos puis soulever la victime par les mains, de manière à disloquer les épaules, et une vaste gamme de tortures supplémentaires.44
Conclusions de la Chambre de première instance
La Chambre de première instance s’est appuyée sur le témoignage d’Etcheson pour tirer plusieurs conclusions dans le Jugement du dossier n° 001 concernant : (i) la structure du PCK ; 45 (ii) la mise en œuvre des politiques du PCK concernant l’élimination des ennemis ; 46 (iii) la fonction et le fonctionnement du S-21 ;47 et (iv) le caractère de Duch.48
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Date | Procès-verbal d’audience | Numéro de transcription |
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18 mai 2009 | E1/20 | E1/20.1 |
19 mai 2009 | E1/21 | E1/21.1 |
20 mai 2009 | E1/22 | E1/22.1 |
21 mai 2009 | E1/23 | E1/23.1 |
26 mai 2009 | E1/25 | E1/25.1 |
27 mai 2009 | E1/26 | E1/26.1 |
28 mai 2009 | E1/27 | E1/27.1 |
Titre du document en khmer | Titre du document en anglais | Titre du document en français | Numéro de document D | Document numéro E3 |
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កំណត់ហេតុនៃការវិភាគដោយលោក Craig Etcheson អ្នកស៊ើបអង្កេតនៃការិយាល័យសហព្រះរាជអាជ្ញា | Written Record of Analysis by Craig C. Etcheson, Investigator of the Office of Co-Prosecutors | Procès-verbal de l’analyse de Craig C. Etcheson, enquêteur du Bureau des coprocureurs | D2-15 | E3/32 |
រចនាសម្ព័ន្ធនៃកម្ពុជាប្រជាធិបតេយ្យ (ធ្វើដោយលោក Craig Etcheson) | The Organization of Democratic Kampuchea (Chart by Craig Etcheson) | L’organisation du Kampuchéa démocratique (Organigramme de Craig Etcheson) | Aucun | E66 |
សៀវភៅសរសេរដោយលោក Craig Etcheson ដែលមានចំណងជើងថា “ការចាប់ផ្តើម និង ការបញ្ចប់នៃកម្ពុជាប្រជាធិបតេយ្យ” | Book by Craig ETCHESON entitled “The Rise and Demise of Democratic Kampuchea” | Ouvrage de Craig ETCHESON intitulé « The Rise and Demise of Democratic Kampuchea » | IS 4.15 | E3/33 |