Rappel des faits et rôle
Hinton Alexander Laban, est anthropologue culturel américain, professeur à l’université de Rutgers aux États-Unis (« É.-U. »),1 et l’auteur de l’ouvrage « Why did they kill? Cambodia in the Shadow of Genocide » (Pourquoi ont-ils tué ? Le Cambodge dans l’ombre du génocide).2 Il a témoigné comme expert devant la Chambre de première instance dans le dossier n° 002/02 sur ses méthodes de recherche ainsi que sur le traitement subi par les Vietnamiens, les Chams et les bouddhistes.
Méthodologie de recherche
Hinton a voyagé au Cambodge à de nombreuses reprises, à partir de 1992 comme étudiant à l’université.3 Durant une période de 11 mois entre 1994 et 1995, il a mené à bien des études ethnographiques pour son livre,4 concentrant par la suite sa recherche sur le génocide selon une approche anthologique en examinant ses dimensions culturelles.5 Hinton est retourné au Cambodge en 2000 et en 2003 pour approfondir ses recherches.6
Les recherches d’Hinton, qui ont débouché sur la rédaction de l’ouvrage « Why did they kill ? », visent à répondre à deux questions : la cause du génocide et ce qui a motivé des Khmers à tuer d’autres Khmers sous le régime du Kampuchéa démocratique (KD).7 Il a également essayé de comprendre le déroulement des événements et tout modèle culturel derrière la violence.8
Selon Hinton, un principe d’anthropologie veut que le chercheur mette ses jugements de côté, comprenne les choses telles qu’elles existaient à l’échelle locale sans jugement préétabli et, parfois, cherche à tirer des conclusions comparatives en examinant ce que d’autres chercheurs universitaires et anthropologues ont trouvé sur un sujet donné.9 Entre 1994 et 1995, Hinton a organisé des entretiens avec plus d’une centaine de personnes qu’il considérait comme ses sources directes, dans le village de « Banyan », province de Kampong Cham, secteur 41, ainsi que dans la ville de Kampong Cham.10 Les entretiens ont été menés en khmer, après qu’il a appris à lire et écrire,11 selon un « protocole pour les sujets humains » exigé par l’université afin de protéger la confidentialité des personnes interrogées.12 Par exemple, Hinton se souvient de son entretien avec un ancien cadre khmer rouge qui travaillait dans le sous-district de Krala, district de Kampong Siem, sous le régime du KD. Il s’appelait « Teap »,13 sans pouvoir fourni son vrai nom ou tout autre détail en raison des protocoles généraux pour les sujets humains.14
Une fois achevé le travail de terrain, Hinton a mené à bien une recherche d’un mois dans les archives de Phnom Penh,15 et s’est penché sur la collecte de données ethnographiques, sur divers documents relatifs au régime du KD et sur les sources universitaires, composées principalement des travaux de David Chandler et de Ben Kiernan considérés comme « utiles » à ses propres recherches.16 Il a expliqué que par rapport à d’autres chercheurs, David Chandler était l’historien le plus expérimenté sur les études khmères, avec lequel il avait le plus d’interactions.17
Ayant considéré que les sources de Hinton n’étaient pas totalement accessibles et vérifiables, ce qui limitait le poids de ses conclusions, la Chambre de première instance a restreint son utilisation de ces preuves à l’évaluation de l’interprétation appropriée des faits et à leur remise en contexte le cas échéant avec toutes les précautions nécessaires.18
Ciblage des Vietnamiens
Le Parti communiste indochinois fondé par Ho Chi Minh et dirigé par le Vietnam19 ne comptait pas à l’origine de membres cambodgiens ou laotiens et est resté inactif au Cambodge durant des années.20 Le régime de Lon Nol a adopté publiquement une ligne anti-impérialiste à l’égard du Vietnam.21 Ancrée dans les antagonismes historiques et culturels, la ligne rhétorique est demeurée prévalente tout au long des années 70, ce qui a entraîné le ciblage et l’exécution d’un grand nombre de civils vietnamiens par les forces de Lon Nol.22 Les bombardements américains sur le Cambodge qui se sont intensifiés en 1973 ont contribué à intensifier la colère de la population et sont devenus un facteur dans la montée des Khmers rouges au pouvoir.23
Immédiatement après le début du KD, environ 20 000 Vietnamiens du Cambodge ont été expulsés et on pense que d’autres ont été exécutés tout au long du régime.24 Selon Hinton, le KD percevait les Vietnamiens comme une menace immédiate teintée d’animosité et de vitriol de longue date.25 L’état d’esprit préexistant à l’égard des ethnies vietnamiennes a fait qu’ils ont été ciblés et éliminés.26 Hinton a confirmé que le passage de l’Étendard révolutionnaire d’avril 1976 faisait référence aux Vietnamiens, la rhétorique se renforçant avec l’escalade des tensions et du conflit ouvert avec le Vietnam en 1978.27 Hinton a été informé par d’anciens cadres du bureau du sous-district et des villageois que sous le KD qu’il n’ avait qu’une poignée de Vietnamiens dans la région 41,28 et qu’ils ont été exécutés en étant rassemblés ou envoyés dans la plantation de caoutchouc.29 Il a expliqué que les termes « bras et jambes des Yuons » ou « cordes de Yuons » faisaient référence à deux choses : les gens qui étaient associés avec le Vietnam - des ennemis internes de l’intérieur au sein des organes khmers avec des esprits vietnamiens - et les personnes d’ethnie vietnamienne.30
La Chambre de première instance s’est appuyée sur le témoignage de Hinton et d’autres preuves pour conclure que le discours sur le Parti communiste du Kampuchéa en avril 1976 faisait référence à l’expulsion des personnes d’ethnie vietnamienne qui vivaient au Cambodge à l’époque de ses « purifications ».31 La Chambre de la Cour suprême a maintenu la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle le témoignage d’Hinton et le passage du document « certains étrangers [considérés comme] extrêmement venimeux et
dangereux » pour le peuple cambodgien faisaient référence aux personnes d’ethnie vietnamienne.32
Ciblage des Chams
Avant le KD, les gens étaient conscients des différences entre les Chams et les Khmers en observant la manière ou la façon dont ils s’habillaient ou parlaient et leur pratique des traditions hindoues.33 Leurs croyances religieuses qui ne correspondaient pas avec l’idéologie du KD ont fait que les Chams ont été considérés comme un groupe suspect contre-révolutionnaire.34 Les différences de traitement à l’égard des Chams dépendaient du degré de menace ressenti par le régime du KD : ils étaient moins susceptibles d’aiguiser leur conscience, et pas seulement à cause de leur rébellion.35
Hinton a expliqué que le génocide subi par les Chams n’était pas son sujet de recherche, mais qu’il a été mentionné lors des discussions et a nécessité un suivi de sa part.36 On lui a dit qu’il y avait de nombreux Chams dans le district de Kampong Siem,37 et qu’ils ont tous « été pris ».38 Lors de l’entretien avec « Teap », Hinton a été informé d’une lettre ordonnant d’écraser les ennemis, y compris les Chams, les Vietnamiens et les anciens travailleurs de Lon Nol.39
La Chambre de première instance s’est appuyée sur son témoignage et d’autres preuves pour conclure que i) les Chams qui vivaient au Cambodge composaient un groupe religieux et ethnique distinct qui partageait une langue et une culture communes et pratiquaient une forme d’islam hindouisé ;40 ii) ils étaient ciblés pour des raisons de pureté ethnique impliquant le purge et l’exécution de minorités afin de parvenir à une race khmère pure ;41 et iii) les Chams ont été exécutés en masse à Wat Au Trakuon, dans la région 41.42
Ciblage des bouddhistes
Hinton a décrit que le bouddhisme était la religion dominante au Cambodge depuis au moins le 13e siècle.43 Son omniprésence était ancrée dans les valeurs et les préceptes moraux dhammiques et promouvait un comportement pro-social parmi les gens.44 Bon nombre d’habitants de la campagne, dont ceux qui étaient recrutés par les Khmers rouges, avaient été éduqués dans des pagodes.45
Le bouddhisme, pilier central absolu de la vie quotidienne cambodgienne, a été aboli sous le KD : les moines ont été défroqués, les pagodes ont été utilisées comme centres de détention et de torture, et les statues de Bouddha ont été détruites.46 Parce que le bouddhisme fournissait des rituels et des moyens de guérir et de gérer les événements traumatisants,47 le retirer aux Cambodgiens a accentué et renforcé leurs souffrances.48
La Chambre de première instance s’est appuyée sur le témoignage d’Hinton ainsi que sur d’autres preuves pour conclure que : i) le bouddhisme, religion dominante au Cambodge depuis au moins de 13e siècle, a été interdit sous le KD ;49 et ii) son abolition a eu un impact physique et mental sur ceux qui croyaient au bouddhisme et qui avaient été élevés dans ces croyances.50 La Chambre de la Cour suprême a maintenu les conclusions de la Chambre de première instance selon lesquelles l’abolition des pratiques bouddhistes était discriminatoire dans les faits et avait eu un impact très profond, constituant une violation flagrante des droits fondamentaux de liberté de pensée, de conscience et de culte.51
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Date | Procès-verbal d’audience | Numéro de transcription |
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14 mars 2016 | E1/401 | E1/401.1 |
15 mars 2016 | E1/402 | E1/402.1 |
16 mars 2016 | E1/403 | E1/403.1 |
17 mars 2016 | E1/404 | E1/404.1 |
Titre du document en khmer | Titre du document en anglais | Titre du document en français | Numéro de document D | Document numéro E3 |
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សៀវភៅនិពន្ធដោយ អាឡិចសាន់ដឺ ហ៊ីនតុន មានចំណងជើងថា៖“ហេតុអ្វីបានជាពួកគេសម្លាប់?” | Book by Alexander Hinton entitled: “Why did they kill?” | Ouvrage par Alexander Hinton intitulé : « Pourquoi ont-ils tué ? » |