La Chambre de première instance rend sa décision motivée précisant les droits des parties civiles dans le cadre du procès

Le 27 août 2009, par décision orale assortie d’une opinion partiellement dissidente du juge Jean-Marc Lavergne, la Chambre de première instance a interdit aux parties civiles de présenter des observations sur les questions relatives à la détermination de la peine de l’accusé. Elle a en outre décidé que les parties civiles ne seraient pas autorisées à interroger l’accusé, des témoins ou des experts entendus au sujet de la personnalité de l’accusé. Le 9 octobre 2009, elle a rendu une décision écrite exposant ses motifs.

La majorité des juges de la Chambre de première instance (les juges Nil Nonn, Silvia Cartwright, Ya Sokhan et Thou Mony) relèvent que, s'il est vrai que la Loi relative à la création des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) contient des dispositions où il est question des victimes, « elle ne va cependant pas jusqu'à doter l'action civile d'une procédure ».

La majorité fait également observer que ni l'Accord entre l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement royal cambodgien, ni la Loi relative aux CETC « ne prévoient que la Chambre de première instance accorde des réparations à l’encontre des personnes condamnées ». De surcroît, même si le modèle d'action civile retenu par le Règlement intérieur des CETC est inspiré de la procédure pénale cambodgienne, il n’y est pas identique, car il doit en effet prendre en compte la nature particulière des poursuites engagées devant les CETC. La majorité conclut que, vu les limites que lui imposent la Loi relative aux CETC et la nature de la procédure dont la conduite lui est confiée, « la Chambre de première instance doit s'astreindre à une interprétation limitative des droits des parties civiles ».

S’agissant des rôles respectifs des co-procureurs et des parties civiles, la majorité relève qu’un procureur représente la communauté et l’intérêt public, et non « les intérêts d'un individu ou d'un groupe d'individus, notamment dans le cadre d'une action en réparation » : il incombe aux co-procureurs de prouver la culpabilité de l’accusé, alors que le rôle et l’intérêt des parties civiles est principalement d’obtenir réparation. Comme il ne peut y avoir réparation que s'il y a eu condamnation pénale, le Règlement intérieur des CETC autorise les parties civiles à soutenir les co procureurs pour rapporter la preuve de la culpabilité de l’accusé et établir la vérité. La condamnation sert de base à l’action en réparation des parties civiles.

Les rôles des co-procureurs et des parties civiles divergent lorsqu’il s’agit de la détermination de la peine. À cet égard, la majorité conclut ce qui suit :
« Alors que les co-procureurs ont la responsabilité de veiller à ce qu'une juste peine soit imposée, les parties civiles ont celle d'obtenir les réparations prévues par le Règlement. Les co-procureurs n'ont aucun rôle à jouer vis-à-vis des demandes de réparations, et il en est de même des parties civiles vis-à-vis de la détermination de la peine, celle-ci relevant de la seule compétence des co procureurs agissant dans l'intérêt public et dans l'intérêt de la justice ».

S’agissant des témoignages portant sur la personnalité de l’accusé, la majorité conclut que ce sont des « considérations relatives aux circonstances aggravantes ou atténuantes qui pourraient être retenues au cas où une peine serait prononcée [et qui] n'ont aucune incidence sur l'établissement de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusé ». Par conséquent, les parties civiles ne sont pas autorisées à interroger l’accusé sur sa personnalité ou à interroger les experts et les témoins entendus exclusivement sur cette question.

Dans son opinion dissidente, le juge Jean-Marc Lavergne précise que son désaccord porte fondamentalement « sur le rôle des parties civiles, sur la possibilité pour ces dernières de participer au débat sur la personnalité de l'accusé ». Il note que la Loi relative aux CETC permet explicitement aux victimes de participer aux procédures :

« ... en l'état, la constitution de partie civile est juridiquement la seule possibilité pour les victimes de participer à la procédure. Pour garantir le respect des droits des victimes, il incombe donc notamment à la Chambre [de première instance] de veiller d'une part à ce que les parties civiles puissent effectivement exercer les droits qui leur sont accordés par leur statut et d'autre part à ce que le procès se déroule équitablement, de façon contradictoire à l'égard de toutes les parties sans distinction ».

Le juge Lavergne estime en outre que le Règlement interne des CETC octroie des droits aux victimes aux différents stades de la procédure, soit en faisant expressément référence aux parties civiles, soit en se référant aux parties civiles sans distinction. Dès lors, à moins que le Règlement exclue clairement leur intervention ou limite expressément leurs droits, les parties civiles doivent logiquement être considérées comme jouissant des mêmes droits et comme ayant les mêmes devoirs que toutes les autres parties. Ni le Code de procédure pénale cambodgien, ni le Règlement intérieur des CETC ne font de distinction entre les débats contradictoires selon qu’ils portent sur la culpabilité ou sur la personnalité de l’accusé.

Le juge Lavergne ajoute que les témoignages relatifs à la personnalité de l’accusé ne sont pas seulement utiles pour déterminer la peine. En effet, l'examen de la personnalité de l'accusé, de ses éventuelles motivations, ainsi que de ses traits de caractère ou de ses caractéristiques psychologiques est important pour la manifestation de la vérité et la compréhension des raisons qui ont conduit l’intéressé à commettre des crimes. Autant d’éléments qui intéressent manifestement les victimes.

Enfin, le juge Lavergne fait part de ses préoccupations face à l’incohérence que crée, à ses yeux, la décision de la majorité, dès lors qu’au 27 août 2009 les parties civiles avaient en effet été autorisées à maintes reprises à poser des questions relatives à la personnalité de l'accusé, tant à l'intéressé lui-même qu'à des témoins et à des experts.


Document connexes :
Décision relative à la requête des co-avocats des parties civiles tendant à ce qu’il soit statué sur la qualité des parties civiles pour présenter des observations sur les questions relatives à la détermination de la peine et Instructions relatives à l’interrogatoire de l’accusé, des experts et des témoins entendus au sujet de la personnalité de l’accusé