Aujourd’hui, la Chambre de la Cour suprême des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) a condamné KAING Guek Eav, alias Duch, à la réclusion à perpétuité, la peine la plus lourde prévue par la loi, pour crimes contre l’humanité et violations graves des Conventions de Genève de 1949.
Faisant droit à un moyen d’appel présenté par les co-procureurs, la Chambre de la Cour suprême a annulé la peine de 35 ans d’emprisonnement prononcée par la Chambre de première instance le 26 juillet 2010 et a également annulé, à la majorité qualifiée, la décision de la Chambre de première instance d’accorder une mesure de réparation pour la violation des droits de KAING Guek Eav causée par sa détention illégale par le Tribunal militaire du Cambodge entre le 10 mai 1999 et le 30 juillet 2007. La Chambre de la Cour suprême a rejeté le moyen d’appel par lequel KAING Guek Eav alléguait qu’il ne relevait pas de la compétence ratione personae des CETC. La Chambre a estimé que la question de savoir si un accusé était un haut dirigeant ou un des principaux responsables est une décision qui relève exclusivement de la compétence des co-juges d’instruction et des co-procureurs et non de celle de la Chambre de première instance et de la Cour suprême.
La Chambre de la Cour suprême a considéré qu’en déterminant la peine la Chambre de première instance avait accordé un poids trop important aux circonstances atténuantes et n’avait pas accordé un poids suffisant à la gravité des crimes et aux circonstances aggravantes. S’agissant des circonstances aggravantes, la Chambre de la Cour suprême a fait observer que KAING Guek Eav a occupé un poste central de dirigeant au centre de sécurité S-21, qu’il a abusé de son autorité de dirigeant en formant, commandant et supervisant ses subordonnés pour la torture et l’exécution systématiques de prisonniers supposés être des adversaires du régime du Kampuchéa démocratique et qu’il a déployé tout son zèle pour améliorer le fonctionnement de S-21, qui était une « usine de mort ».
La Chambre a fait observer que le nombre élevé de décès dont KAING Guek Eav est responsable (au minimum 12 272), ainsi que la longue période pendant laquelle les crimes ont été commis (plus de trois ans), placent sans aucun doute cette affaire parmi les plus graves qu’aient eu à connaître les tribunaux pénaux internationaux. La Chambre a également considéré que le fait que l’Accusé n’était pas au sommet de la chaîne de commandement ne justifie pas en soi une peine plus légère parce qu’il n’existe aucune règle qui impose de réserver les peines les plus lourdes aux plus hauts placés dans la chaîne de commandement.
La majorité qualifiée (les juges Klonowiecka-Milart et Jayasinghe étant en désaccord) a en outre considéré que la Chambre de première instance a interprété à tort la jurisprudence internationale pertinente comme indiquant qu’il convenait d’accorder une mesure de réparation à KAING Guek Eav en raison des violations de ses droits, et ce, même en l’absence de violation attribuable aux CETC et d’abus de droit. Faute que l’une ou l’autre de ces conditions ait été établie, la Chambre de première instance aurait dû rejeter la demande de mesure de réparation.
Les juges Klonowiecka-Milart et Jayasinghe considèrent qu’il revient aux CETC d’accorder une mesure de réparation et qu’à ce titre il conviendrait de réduire la peine de KAING Guek Eav de la réclusion à perpétuité à une peine déterminée de 30 ans d’emprisonnement.
La Chambre de la Cour suprême a également fait partiellement droit au moyen d’appel par lequel les co-procureurs demandaient un cumul de déclarations de culpabilité pour les crimes contre l’humanité. La Chambre de la Cour suprême a conclu que la Chambre de première instance avait commis une erreur de droit en jugeant que le crime de persécution avait pris la forme de crimes contre l’humanité spécifiques au lieu de déclarer KAING Guek Eav coupable de tous les crimes dont il avait été reconnu responsable. En conséquence, la Chambre de la Cour suprême a confirmé la déclaration de culpabilité pour crime contre l’humanité de persécution et a, en outre, déclaré KAING Guek Eav coupable de crimes contre l’humanité d’extermination (cette infraction englobant celle de meurtre), réduction en esclavage, emprisonnement, torture et autres actes inhumains.
La Chambre de la Cour suprême a également fait droit aux appels de 10 Parties civiles dont les demandes de constitution de partie civile avaient été rejetées par la Chambre de première instance dans le jugement. Ces Parties civiles appelantes ont étayé leurs demandes en appel, et leurs demandes de constitution de partie civile dans le dossier n° 001 ont été déclarées recevables.
La Chambre de la Cour suprême a également tranché les appels interjetés par certaines Parties civiles contre la décision de la Chambre de première instance relative aux réparations collectives et morales. La Chambre de la Cour suprême a confirmé la décision de la Chambre de première instance de procéder à la compilation de toutes les excuses et de toutes les déclarations de reconnaissance de culpabilité faites par KAING Guek Eav au cours du procès, y compris en appel, et de l’afficher sur le site internet officiel des CETC. La Chambre de la Cour suprême a rejeté toutes les autres demandes de mesures de réparation présentées par les Parties civiles, soit parce qu’elle n’aurait pas pu en assurer l’exécution, soit parce que leur mise en œuvre aurait nécessité le recours à un financement assuré par KAING Guek Eav, qui est indigent, soit parce qu’y faire droit serait revenu à ordonner des mesures à l’État cambodgien.
Le résumé de l’arrêt lu aujourd’hui en audience publique est disponible sur le site internet officiel des CETC (www.eccc.gov.kh). Le texte intégral de l’arrêt sera diffusé dans les plus brefs délais.